Quand les plantes tuent : Poisons, complots et crimes botaniques

L’histoire de l’humanité est jalonnée de récits tragiques et mystérieux où les plantes, silencieuses et en apparence inoffensives, deviennent des armes de crime redoutables. Parmi les méthodes d’empoisonnement, l’usage délibéré de plantes toxiques occupe une place singulière dans les annales judiciaires, mêlant crime et savoir botanique. Ces végétaux, souvent banals et présents dans nos jardins, peuvent se révéler mortels. Au fil des siècles, ils ont servi à faire taire, éliminer des rivaux ou encore exécuter des condamnés. Entre intrigues historiques, sorcelleries, complots politiques et faits divers glaçants, voici quelques cas emblématiques où la plante s’est muée en véritable instrument de mort.

La ciguë : Le poison qui fit taire Socrate !

La grande ciguë (Conium maculatum) est l’une des plantes toxiques les plus connues de l’Antiquité. Son nom reste à jamais associé à la mort du philosophe grec Socrate, en 399 av. J.-C. Condamné à mort par le tribunal d’Athènes pour avoir prétendument perverti la jeunesse et rejeté les dieux de la cité, Socrate choisit de boire une décoction de ciguë, conformément à la sentence.

La toxicité de la ciguë réside dans des alcaloïdes puissants, notamment la coniine, qui bloque la transmission neuromusculaire. Après ingestion, la paralysie s’installe lentement, remontant des extrémités vers le tronc, jusqu’à provoquer l’asphyxie. Socrate, selon les récits de Platon, aurait affronté sa fin avec une sérénité philosophique, discutant encore avec ses disciples alors que la mort s’approchait implacablement.

L’aconit : La reine des poisons !

L’aconit napel (Aconitum napellus), surnommé « tue-loup », est redouté depuis l’Antiquité. Ses jolies fleurs violettes cachent un poison dévastateur : l’aconitine. Cette molécule neurotoxique agit rapidement sur le système nerveux et le cœur, provoquant nausées, engourdissements, arythmies et, dans les cas les plus graves, arrêt cardiaque. Les anciens s’en servaient pour enduire leurs flèches de chasse ou de guerre.

Selon certains récits, l’empereur Claude aurait été empoisonné par sa femme Agrippine avec une combinaison de plantes incluant de l’aconit. L’aconit était en effet connu des Grecs et des Romains comme un poison mortel. Il aurait été utilisé pour exécuter des condamnés, ou par des ennemis politiques. Pline l’Ancien décrit l’aconit comme « la plante la plus meurtrière qui soit ». Malgré les progrès médicaux, aucun antidote spécifique n’existe, rendant l’empoisonnement par aconit particulièrement redoutable.

Le belladone : la « belle dame » meurtrière

De nom botanique Atropa belladonna, la fameuse Belladone, fascine autant qu’elle effraie ! Au Moyen Âge, certaines femmes italiennes l’utilisaient en très faibles doses pour dilater leurs pupilles, leur conférant un regard envoûtant, d’où son surnom de “Belle Dame”. Mais ses alcaloïdes, atropine, scopolamine et hyoscyamine, sont de puissantes substances toxiques. En quantité élevée, ils provoquent hallucinations, tachycardie, confusion, coma, puis la mort.

La belladone a souvent été employée dans les intrigues de cour et aurait été impliquée dans des empoisonnements notamment à Rome. La belladone aurait notamment été utilisée à la cour des Borgia, célèbre pour ses machinations empoisonnées. Certains récits mentionnent des mélanges contenant de la belladone pour affaiblir ou désorienter les victimes avant leur mise à mort. Lucrèce Borgia, figure aussi redoutée que romancée, aurait utilisé de telles préparations lors de banquets, dissimulant le poison dans du vin ou des mets riches pour masquer l’amertume.

La ricine : Un poison discret et redoutable

Le ricin (Ricinus communis), plante ornementale courante, produit des graines striées d’un brun lustré, jolies mais mortelles. Ces graines contiennent de la ricine, une toxine qui inhibe la synthèse des protéines au niveau cellulaire, entraînant la mort des cellules puis des organes. L’ingestion même de quelques graines peut suffire à provoquer un empoisonnement grave.

Le cas le plus célèbre reste celui de Georgi Markov, dissident bulgare et journaliste critique du régime communiste. Le 7 septembre 1978, alors qu’il attend un bus à Londres, Markov sentit une piqûre étrange à la jambe, provoquée par la pointe d’un parapluie modifié. Trois jours plus tard, il mourut d’une dose létale de ricine. L’attaque fut rapidement attribuée aux services secrets bulgares, avec l’aide présumée du KGB soviétique. Ce meurtre devint emblématique de la guerre secrète menée pendant la Guerre froide.

Un autre cas marquant a eu lieu plus récemment, en 2013, aux États-Unis, lorsqu’un homme du Mississippi, James Everett Dutschke, tenta d’assassiner le président Barack Obama et d’autres responsables politiques en leur envoyant des lettres piégées contenant de la ricine en poudre. Bien que personne n’ait été blessé, l’affaire provoqua une onde de choc et montra que le ricin, bien qu’extrait d’une plante accessible, restait une arme biologique potentielle, redoutée par les services de sécurité dans le monde entier.

Le datura : Le piège des hallucinations mortelles

Le datura (Datura stramonium), surnommé « pomme du diable », est une plante aussi fascinante qu’effrayante. Utilisé depuis l’Antiquité dans des rituels chamaniques pour ses propriétés hallucinogènes, il est redouté pour sa toxicité extrême. Cette plante contient plusieurs alcaloïdes tropaniques qui perturbent profondément le système nerveux central. Ses effets varient selon la dose et la sensibilité individuelle : hallucinations intenses, confusion, délire, amnésie, sécheresse buccale, tachycardie, convulsions, puis coma ou mort. Le datura est d’autant plus dangereux que ses principes actifs sont très variables selon la plante, la saison ou la partie consommée, rendant tout dosage imprévisible.

En France, plusieurs cas d’intoxications ont été recensés, notamment chez des adolescents cherchant à expérimenter des états modifiés de conscience. Mais au-delà des usages accidentels ou “récréatifs”, le datura a aussi été impliqué dans plusieurs affaires criminelles. Un cas ancien particulièrement marquant remonte au XVe siècle, dans la ville de Toulouse. Une femme, Jeanne de Brancion, herboriste et veuve d’un riche marchand, fut accusée d’avoir provoqué la folie puis la mort lente de son beau-fils afin de conserver l’héritage familial. Selon les chroniques judiciaires locales, elle lui aurait préparé des potages « enrichis de feuilles de stramoine », une ancienne appellation du datura. Le jeune homme, auparavant sain, sombra peu à peu dans un état de confusion, délirait la nuit, et finit par se jeter dans un puits. L’enquête révéla que Jeanne connaissait les plantes médicinales et utilisait souvent des décoctions, ce qui renforça les soupçons. Elle fut jugée pour sorcellerie et empoisonnement, deux accusations alors indissociables, et exécutée en 1482.

La digitale pourpre : un poison à fleurs violettes

La digitale pourpre (Digitalis purpurea) arbore de jolies fleurs violettes, mais elle cache des toxines puissantes : digitaline et digitoxine. Celles-ci agissent sur le cœur, provoquant des troubles du rythme, parfois jusqu’à l’arrêt cardiaque. Son usage criminel ou accidentel a été documenté, notamment en Angleterre au XIXe siècle

L’un des cas les plus connus d’empoisonnement à la digitale eut lieu en 1850, et impliqua une gouvernante nommée Sarah Chesham, surnommée par la presse de l’époque Sally Arsenic. Bien qu’elle fût initialement soupçonnée d’avoir utilisé de l’arsenic, l’enquête révéla qu’elle avait administré à plusieurs membres de sa famille une infusion contenant de la digitaline, provoquant leur mort progressive. Elle aurait dissimulé le poison dans du thé, ce qui rendait le goût difficile à détecter. Jugée coupable, elle fut pendue en 1851. Ce cas tragique contribua à faire entrer la digitale dans l’imaginaire collectif comme un poison domestique redoutable, facile à dissimuler dans des préparations banales. Paradoxalement, la digitale est aussi utilisée en médecine, à très faible dose, pour traiter certaines insuffisances cardiaques.

Le Cerbera : le “Juge vert” du Kerala !

Le Cerbera odollam, pousse principalement en Inde et en Asie du Sud-Est. Sa graine contient de la cérbérine, une toxine qui perturbe le rythme cardiaque jusqu’à provoquer un arrêt cardiaque. Ce poison est particulièrement redouté, car il est pratiquement indétectable lors des autopsies, sauf en cas d’analyses spécifiques.

Dans les régions rurales de l’Inde, il est souvent utilisé dans les cas de suicide, mais aussi couramment impliqué dans des homicides domestiques. Une étude médico-légale menée au Kerala, dans le sud de l’Inde, a révélé que plus de 500 morts suspectes sur une période de dix ans pouvaient être attribuées à l’ingestion de graines de Cerbera odollam. Ce chiffre alarmant renforce la réputation de cet arbre comme arme silencieuse, en faisant l’un des poisons végétaux les plus meurtriers du monde ! Dans les villages, il est parfois surnommé « le juge vert », en raison de sa manière d’infliger, dans l’ombre, une “justice” radicale, rapide et souvent invisible.

L’if commun : silencieux mais fatal

L’if commun (Taxus baccata) est un arbre très répandu en Europe, dont les aiguilles et les graines contiennent des toxines mortelles : la taxine A et la taxine B. Ces substances provoquent une bradycardie, un collapsus circulatoire et un arrêt cardiaque. La pulpe rouge de ses baies n’est pas toxique, ce qui renforce l’illusion d’innocuité de l’arbre. De nombreux cas d’intoxication, de suicide et d’empoisonnement criminel ont été attribués à l’ingestion de feuilles ou d’aiguilles d’if, parfois sous forme d’infusion. Aucun antidote n’existe, ce qui rend l’if particulièrement dangereux.

L’un des cas les plus anciens et historiquement documentés d’empoisonnement remonte au XVe siècle, à Fountains Abbey, dans le nord de l’Angleterre. En 1447, un moine nommé William Downom tenta d’empoisonner l’abbé John Greenwell, à la suite de tensions internes et de rivalités au sein du monastère. Selon les lettres et archives envoyées à l’ordre cistercien, Downom présenta à l’abbé un potage suspect, qu’il refusa lui-même de goûter. Peu après l’avoir consommé, Greenwell tomba gravement malade, souffrant de nausées sévères et d’un affaiblissement soudain, symptômes caractéristique d’une intoxication avec l’if. L’intervention d’un médecin, permit à l’abbé de survivre. Une enquête interne suivit, au cours de laquelle William Downom avoua sa tentative d’empoisonnement. Il fut officiellement expulsé de l’abbaye en 1448, et contraint à l’exil sur décision du chapitre général de l’ordre de Cîteaux.

Ces quelques exemples historiques montrent à quel point les plantes peuvent être des armes puissantes entre de mauvaises mains. Si la médecine a permis de mieux comprendre les mécanismes de ces toxines, elle reste souvent démunie face à leur efficacité létale. Entre mythes, drames historiques et faits divers contemporains, les plantes toxiques rappellent que la nature, en dépit de sa beauté, cache parfois des menaces insoupçonnées !